La remontée du Front National lors des dernières élections en France, l´adoption des lois qui délimitent la libre circulation de personnes en Suisse, la remontée du parti de l´extrême droite de Nikos Michaloliakos en Grèce l´ Europe, tourne-t-elle définitivement vers l´ extrême droite?
Il ne faut jamais dire jamais en politique. Mais on assiste effectivement à travers toute l´Europe à une dynamique électorale des droites extrêmes avec un discours populiste, anti immigrés. Ce n´est pas nouveau. Le phénomène a commencé à se développer à la fin des années 80.
Mais- la, le contexte est particulièrement favorable à cause de la crise économique qui commence en 2008 et qui donne a beaucoup de citoyens européens le sentiment que l´UE ne fait rien contre la crise, demande toujours plus d´austérité, plus d´austérité. Ce contexte est très favorable à des partis qui disent, comme le FN que l´État et l´UE sont dominés pour les finances. Donc, on est dans un moment eurosceptique à travers l´Europe même si sa forme et son ampleur varient selon les pays.
Par exemple, en France Marine Le Pen qui a pris la tête du FN en 2011 une bien meilleure image que son père. Elle ne sort pas des propos antisémites. Elle dit qu´elle veut faire arriver son parti au pouvoir, qu´il n´est pas simplement un parti antisystème, hors système.
Comment elle a réussi à faire ça?
Elle a changé son discours pour le rendre plus présentable, sur le mode, « c´est nous qui défendons les valeurs démocratiques et républicaines face à l´Islam ».
En tout cas, Marine Le Pen sait très bien utiliser ces opportunités politiques parce que non seulement elle présente une image et faite une communication politique moins agressive que son père mais elle est aussi en train de reconstruire le parti de manière durable, d´en faire un parti de militants. Le parti avait été cassé par la scission de 1998-1999. Là, elle est en train d´essayer d´attirer dans le parti des nouveaux militants et de nouveaux cadres. Elle a fait venir des intellectuels, des professeurs d´université, des énarques (ENA) qui forme les élites françaises comme Floriant Philippot. Donc, elle a engagé une réelle transformation de son mouvement pour appuyer cette dynamique électorale.
Et comme la plupart des autres droites radicales populistes occidentales, aux Pays Bas, en Autriche, au Danemark elle fait de l´Islam et des musulmans l’ennemi principal, en assimilant Islam au terrorisme et à l’islamisme radical. Voilà le point commun à ces droites.
Après la Première Guerre Mondiale en Europe et la Grande Dépression aux États-Unis à la fin des années 20, quelques mouvements populistes sont arrivés et sont devenus finalement des systèmes totalitaires comme le fascisme ou le nazisme.
Est- ce que vous voyez des parallélismes entre la situation pendant ces années et la situation que nous sommes en train de vivre aujourd´hui?
Je pense que l´histoire ne se répète pas. Dans le contexte des années 30 la démocratie était plus récente, plus fragile. Il n´y avait pas de système de protection sociale face à la crise comme aujourd’hui. Il ne faut pas se confondre.
Marine Le Pen et son parti ne sont pas des « fascistes » ou des « nazis ». En revanche ils ont une idéologie autoritaire et xénophobe, stigmatisant les immigrés en général et les musulmans en particulier.
Si nous allons en France…Les dernières élections municipales confirment le mécontentement des électeurs de la gauche envers les politiques de Hollande. Qu´est que le président de l’Elisée a-t-il fait de mal?
Qu´est qu´il a fait de mal ? Le pauvre…il a eu le malheur d´arriver au pouvoir dans un contexte de crise économique face à laquelle la plupart des politiques paraissent impuissantes. Aujourd’hui dans toute l´Europe c’est le même réflexe, celui du vote sanction, « sortons les sortants ».
Passée l’élection nationale, que le gouvernement soit de gauche ou de droite les électeurs sont mécontents et prêts à voter pour l’opposition et contre le parti au pouvoir. Ce n’est pas uniquement le cas de François Hollande.
¿Pour quoi François Hollande en particulier? Il est vrai qu´aucun président de la République n’avait connu une chute pareille de popularité sous la Cinquième République, il est aujourd’hui à 18% d’opinions favorables. Il a non seulement la droite contre lui, ce qui est normal, il a aussi mécontenté son propre électorat. Celui-ci n’a pas toujours compris son « Pacte de responsabilité » avec le patronat, estimant qu’il demandait trop de sacrifices aux salariés.
Ça a l´air qui personne n ´est contente
Beaucoup pensent que la gauche a perdu son idéal de justice sociale, et que le nouveau premier ministre (Manuel Valls) est trop marqué à droite (à cause de ses propos sur les Roms, sur le regroupement familial, sur l’immigration). D’autres soulignent qu’il n’a pas tenu ses promesses, il avait promis de donner le droit de vote aux étrangers, il avait promis de reformer le système fiscal, le rendre plus simple e plus équitable, etc. Cela fait beaucoup de sujets de mécontentement.
La seule chose qui pourrait le sauver serait que le chômage baisse, que la croissance revienne, mais je ne suis pas sure que ça soit le cas!
Comment expliquez-vous la remontée de l´extrême droite dans les dernières élections?
Il n´y a pas de « remontée » de l’extrême droite aux municipales. C´est plutôt la continuation d’une tendance observée dès l’ élection présidentielle de 2012, où Marine Le Pen obtient près de 18% des suffrages exprimés, contrastant fortement avec celle de 2007 quand Nicolas Sarkozy avait réussi à attirer à lui une partie de l´électorat lepéniste, faisant tomber le score de Jean Marie Le Pen à 10%.
Cette dynamique se confirme lors des dernières élections municipales. C’est des élections difficiles pour un petit parti parce qu´ il y a 36.000 communes en France, 36.000 circonscriptions où il faudrait présenter des candidats. Le FN a présenté au total près de 600 listes, en ciblant les plus grandes villes. Si on prend uniquement les communes où il s’est présenté, il a obtenu autour de 15 % des suffrages exprimés. C’est un bon score mais ce n’est pas une poussée historique !
Ce qui va être intéressant sera le résultat des élections européennes. On verra si le FN progresse, s’il dépasse les 20% et devance l’UMP comme l’annoncent les sondages
Comment voyez-vous les chances de Marine Le Pen en tant que candidate aux prochaines élections nationales? Considérez-vous que la remontée des votes au FN est à cause de la situation sociale et économique d´aujourd´hui?
On verra si cette dynamique continue. Tout dépendra aussi de la capacité du FN à modifier son image. Ils ont gagné une douzaine de villes aux élections municipales, ils devront montrer qu’ils sont capables de les gérer. L’expérience de 1995 (où ils avaient gagné trois mairies) a laissé un très mauvais souvenir. .
Dans les sondages le FN continue à être perçu comme un parti spécialisé sur certaine enjeux, essentiellement l´immigration et la sécurité. Il n’a pas encore acquis la crédibilité, l‘image d´un parti généraliste capable de gouverner. Marine Le Pen non plus, selon un sondage BVA/Le Parisien Libéré fin avril, 78 % des Français ne lui feraient pas confiance si elle devait gouverner le pays.
Quelles différences observez-vous entre le programme actuel de Marine Le Pen et le programme qu´ avait son père quelques ans avant?
Son discours est plus lisse, plus compatible en apparence avec les valeurs de la démocratie. Mais sur le fond il n´a pas bougé d´un pouce. Le cœur du programme de Marine Le Pen (comme celui de son père) est la « préférence nationale », rebaptisée « priorité citoyenne ». Ils disent pareil : il faut réserver les emplois, le logement, les aides sociales….aux Français. C’est toujours un discours anti-immigrés mais Marine Le Pen y a ajouté une coloration plus sociale que son père, prenant la défense des petits, des « oubliés » frappés par la crise. Il y a plusieurs différences entre elle et son père.
Donnez-moi quelque exemple
D´abord, par rapport aux femmes, elle a une position plus moderne plus ouverte sur la question de l´avortement. Ensuite elle va encore plus loin qui son père dans le rejet de l’Union européenne. Enfin elle défend un Etat, des services publics forts, c’est nouveau.
Si on regarde dans les détails on peut dire que le programme du FN est un peu contradictoire sur le plan économique, voulant attirer à la fois les petits patrons (payer moins d’impôts) et les petits salaries (protection sociale, meilleurs salaires) dont les intérêts ne coïncident pas nécessairement. Ce qui les réunit c’est ce qu’on appelle le chauvinisme de l’Etat providence (« Welfare Chauvinism »). Un Etat social oui mais réservé aux seuls Français.
En lisant le programme du FN, il y a beaucoup de références a « rétablir l´honneur, la grandeur ou la force qu´avait la France dans le passé ». Qu´est-ce que vous pensez quand vous écoutez ce type de slogans?
Hmmmm…(Elle réfléchit…) C´est un vieux débat.. La défense de la France est au cœur du programme du FN, son slogan dès les années 80 est « Français d´abord ». C´est ce que toutes ces droites dites radicales, populistes, extrêmes, ont en commun, une certaine image de la Nation. Mais c’est une image restrictive, fermée, il faut défendre la nation contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, contre les immigrés et contre l’étranger. On pense aux idées de Charles Maurras.
Pensez-vous que ces messages populistes peuvent être dangereux, même dans une démocratie forte comme la démocratie française?
Ca dépend comment on définit populisme. C’est un concept un peu confus, ambigu que je n’aime pas trop Si on le définit comme un style politique qui consiste à simplifier la politique, à voir les choses en noir et blanc, c’est dangereux parce que la politique est complexe, elle exige du temps, des compromis, des débats. Il n´y n’a jamais « une » solution miracle. La démocratie c’est le pluralisme.
Dans populisme Il y a surtout l´idée du peuple contre les élites, le refus de toute médiation, de toute représentation. Cela aussi peut être dangereux. Il y a des populismes à droite mais aussi à gauche (comme en Amérique Latine ou le mouvement de Beppe Grillo en Italie).
Nous retournons aux élections municipales. Si nous observons les résultats, l´extrême droite a conquis quelques villes ou a augmenté sa présence notamment dans les régions méditerranéennes et les régions intérieures. Considérez-vous l´immigration comme étant le seul facteur qui explique ces résultats ?
Bien sûr que non. Il y a des immigrés en France depuis le XIXème, vagues après vagues. C’est le contexte qui favorise l’extrême droite : la mondialisation, l’ouverture des frontières. L’intégration européenne fait peur, et la crise économique de 2008 renforce ces peurs et la désignation de « l’autre », l’étranger, l’immigré, comme bouc émissaire.
Nous faisons tous les ans depuis 1990 un sondage pour la Commission Nationale Consultative des Droits de l´Homme sur l´état du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie, de l´ Islamophobie en France.
Quelles conclusions obtenez- vous de ces recherches?
Jusqu’en 2009 on notait une acceptation croissante des minorités, favorisée par le renouvellement générationnel, la montée du niveau d’études, une société plus diverse, plus ouverte sur les autres cultures.
Et puis, avec la crise économique de 2008, il y a eu un basculement, un retour de l’intolérance, une poussée de xénophobie. Pour la quatrième année consécutive, le niveau d´acceptation de l’autre et plus particulièrement des maghrébins et des musulmans, est en chute libre et cela élargit l’audience potentielle du Front national.
Il n’a pas seulement progressé dans le sud-est de la France où il fait depuis longtemps partie du paysage politique. Plus intéressante pour moi est sa progression dans les vieilles terres ouvrières, dans le Grand Est, frappé par la désindustrialisation où les sondages le donnent en tête avec 26% des intentions de vote pour les Européennes, ou encore dans le Nord, avec sa conquête de Hénin Beaumont dès le premier tour des municipales, en plein bassin minier.
Quelles différences trouvez-vous entre les électeurs des aires rurales en France et ceux de l’Arc Méditerranéen qui ont voté au FN ? Si l´immigration peut être une raison importante dans la Méditerranée, comment pouvez-vous expliquer la force du FN dans la France intérieure?
En fait, on n´a pas besoin de vivre à côté des immigrés pour en avoir peur et les rejeter. Il suffit de regarder la télévision ou d’écouter Marine Le Pen en parler. En Alsace par exemple depuis longtemps le FN fait des bons scores dans des petits villages, en zone rurale. De même qu’il y a de l’antisémitisme sans juifs, il peut y avoir de l’hostilité aux immigrés sans leur présence physique.
Quand Marine Le Pen exprime que la meilleure solution possible pour la France serait de sortir de l´UE et la zone Euro, êtes-vous d´accord?
Moi je ne suis absolument pas d´accord mais le problème n´est pas là. La majorité des françaises sont en contre, même dedans l´électorat du FN. Aujourd´hui le monde est globalisé, les économies sont apiqués les uns dans les autres donc je pense que ce n´est pas crédible. En tout cas, il y a débat avec des économistes très sérieux, mais c´est pas ça qui attire de voir Marine Le Pen. C´est la critique global du système européen, technocrate, favorisant l´austérité. Fermer les frontières, « fermer la porte » c´est une idée plus accepté par ses électeurs mais non sortir de l´Europe.
Est-ce que l’immigration est un phénomène si problématique pour l’UE comme il est souvent vendu par le media et les politiciens?
Il y n’a pas une réponse simple. L’immigration après la guerre a été encouragée, les immigrés sont venus faire les boulots dont les Français ne voulaient pas, dans l´industrie automobile, dans les mines. Aujourd’hui dans un contexte de crise, ils sont les premiers touchés par le chômage, ils servent d’amortisseurs. Et si le FN ne voit que ce qu’ils coûtent à la France, il faut voir aussi ce qu’ils rapportent : ils paient les cotisations sociales, ils dépensent. Demain l’immigration sera nécessaire, pour compenser la démographie déclinante de la plupart des pays européens.
Considérez-vous que l´immigration doive être sujet européen sur lequel nous devons arriver tous ensemble à un accord? Pour quoi c´est si difficile d´avoir une politique unitaire sur ce sujet depuis Bruxelles?
L’immigration n’a pas le même sens d’un pays à l’autre, cela dépend des flux migratoires, de la colonisation. Ce ne sont pas les mêmes immigrés. En Allemagne, ce sont surtout des Turcs ; si vous prenez l´Angleterre plutôt des Indo-Pakistanais, en France des Maghrébins. Le même terme recouvre des réalités différentes.
Il faut tenir compte aussi de la diversité des législations nationales en matière de nationalité et de citoyenneté, de droits reconnus aux minorités, des conceptions différentes de la laïcité, de la séparation entre l’Eglise et l’État. Mais si on considère que l´Europe forme un tout solidaire, il est évident qu’il faut une politique commune en matière d’immigration et d’asile, de lutte contre le travail clandestin.
En parlant du phénomène d´Alain Soral et Dieudonné., la “quenelle” Qu´est-ce que vous en pensez?
Ce sont de nouvelles formes d’antisémitisme facilitées par internet et les réseaux sociaux mais relativement peu connues du grand public avant l’interdiction du spectacle de Dieudonné et la publicité médiatique autour du geste polémique de la « quenelle », lui-même interprété de manière différente, salut nazi inversé pour les uns, geste provocateur anti système pour d’autres. On n’en parle déjà beaucoup moins maintenant, n’exagérons pas son importance. .
Quant à l’antisémitisme en France, il y a eu depuis les débuts de la Seconde Intifada en 2000 une progression d’actes antisémites parfois violents, le dernier en date étant l’affaire Mérah et la tuerie à l’école juive de Toulouse. Mais au niveau de l’opinion publique, les juifs sont la minorité de France la mieux acceptée, celle qui a la meilleure image. Ce sont les Maghrébins et les Musulmans qui ont la plus mauvaise image. Et plus bas encore, on trouve les Roms, les moins aimés
Alors… Vous ne croyez pas que la quenelle est un geste antisémite ? Vous pensez qu´Il y a de relation avec le conflit entre Israël et Palestine?
Je n’ai jamais dit ça. Il y a des propos très clairs et très grossiers de Dieudonné sur la signification antisioniste de la quenelle. Et dans ses sketches le glissement vers l’antisémitisme est constant, quand il parle à propos de la mémoire de la Shoah de « pornographie mémorielle » ou quand il lance à propos du journaliste Patrick Cohen “Moi, tu vois, quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… dommage
Finalement, par rapport à la situation politique espagnole, qu´est-ce que vous pensez sur l´inexistence d´un parti politique d´extrême droite en Espagne ? Quelles peuvent être les raisons derrière?
Mais d´abord il y a en Catalogne (PXC) un parti qui tient un discours xénophobe et anti-immigré… même si je connais mal le contexte Catalan. Sinon le cas de l´Espagne peut se comprendre. Elle est sortie d´un régime autoritaire, le franquisme, il y a très peu de temps. Comme le Portugal. Cela délégitime les droites extrêmes, pour l’instant, ça ne durera peut être pas toujours.